CHAPITRE IV

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«Mlle Bürstner ne veut sans doute pas m’accorder l’entretien personnel que je lui avais demandé?

– C’est cela, dit Mlle Montag, ou plutôt ce n’est pas tout à fait cela; vous vous exprimez trop brutalement. En général, un entretien ne s’accorde ni ne se refuse. Mais il peut se faire qu’on le tienne pour inutile, et c’est le cas. Maintenant, après votre réflexion, je puis parler ouvertement; vous avez demandé, verbalement ou par écrit, un entretien à mon amie. Or, elle connaît – c’est du moins ce que je suis amenée à supposer – elle connaît déjà le sujet de cet entretien, et elle est convaincue, pour des raisons que j’ignore, qu’il ne pourrait servir à rien. D’ailleurs, elle ne m’en a parlé qu’hier et d’une façon très superficielle, disant que vous ne deviez pas attacher non plus beaucoup d’importance à cette entrevue – car vous n’en aviez eu l’idée que par hasard – et que vous reconnaîtriez vous-même bientôt, si vous ne l’aviez déjà fait, l’inutilité de tout cela sans explication particulière; je lui répondis que c’était peut-être juste, mais que je trouverais préférable, pour la netteté de la situation, qu’elle vous répondit clairement. Je m’offris à le faire pour elle et mon amie accepta après quelque hésitation. J’espère avoir agi dans le sens qu’elle désirait elle-même, car la moindre incertitude est toujours pénible, même dans les plus petites choses, et, quand on peut l’éviter facilement, comme c’est le cas, il vaut mieux le faire immédiatement.

– Je vous remercie», répondit K.

Il se releva lentement, regarda Mlle Montag, puis la table, puis la fenêtre – la maison d’en face était tout ensoleillée – et se dirigea vers la porte; Mlle Montag le suivit quelques pas comme si elle n’avait pas complètement confiance, mais parvenus devant la porte, ils durent reculer tous deux, car elle s’ouvrit, poussée par le capitaine Lanz. K. ne l’avait encore jamais vu d’aussi près. C’était un homme de grande taille, qui pouvait avoir quarante ans; son visage était charnu et hâlé; il s’inclina légèrement pour saluer les deux personnes, puis se dirigea vers Mlle Montag et lui baisa respectueusement la main. Il avait une grande aisance de mouvements; sa politesse envers Mlle Montag jurait avec l’attitude de K.; cependant, Mlle Montag n’avait pas l’air d’en tenir rigueur à K., il lui sembla même qu’elle voulait le présenter au capitaine. Mais K. n’y tenait nullement; il n’eût pu se montrer aimable ni avec elle ni avec lui; ce baisemain avait associé à ses yeux la jeune fille à un groupe de conjurés qui, tout en se donnant l’apparence la plus inoffensive et la plus désintéressée, travaillait secrètement à le tenir éloigné de Mlle Bürstner. Ce ne fut pas la seule chose que K. crut voir; il s’aperçut aussi que Mlle Montag avait choisi un bon moyen quoiqu’il présentât deux tranchants; elle s’arrangeait pour exagérer l’importance des relations entre K. et Mlle Bürstner, et surtout l’importance de l’entretien demandé, et tournait la chose de telle sorte que ce fût K. qui parût tout exagérer; il fallait lui montrer qu’elle faisait fausse route; K. ne voulait rien exagérer, il savait que Mlle Bürstner était une petite dactylo qui ne lui résisterait pas longtemps. Encore ne faisait-il intentionnellement pas entrer en ligne de compte ce qu’il avait appris d’elle par Mme Grubach. Ce fut en réfléchissant à tout cela qu’il quitta la pièce sur un imperceptible salut; il voulait retourner tout de suite dans sa chambre, mais un petit rire de Mlle Montag lui fit penser qu’il pourrait peut-être lui ménager une surprise ainsi qu’au capitaine Lanz. Il regarda autour de lui, l’œil et l’oreille au guet, épiant le bruit qui risquerait de présager un dérangement. Mais le calme régnait partout. On n’entendait que la conversation qui venait de la salle à manger et la voix de Mme Grubach dans le couloir de la cuisine. L’occasion semblait favorable, K. alla frapper à la porte de Mlle Bürstner; comme rien ne bougeait, il frappa de nouveau, mais cette fois non plus, nulle réponse. Dormait-elle ou était-elle vraiment fatiguée? Ou bien ne camouflait-elle sa présence que parce qu’elle pressentait que ce ne pouvait être que K. qui frappait aussi doucement. K. pensa qu’elle faisait semblant d’être absente; il recommença plus fort, et, voyant que son toc-toc n’avait aucun résultat, ouvrit finalement la porte avec prudence, non sans éprouver le sentiment de commettre une faute, et, qui pis est, une faute inutile. Il n’y avait personne dans la chambre; elle ne rappelait d’ailleurs guère celle que K. avait connue. Maintenant, il y avait deux lits le long du mur; près de la porte, on voyait trois chaises surchargées de linge et d’habits; une armoire était grande ouverte. Mlle Bürstner avait dû partir pendant que Mlle Montag entretenait K. dans la salle à manger; il n’en fut pas trop déconcerté, car il ne s’attendait guère à rencontrer la jeune fille; c’était par défi, pour braver Mlle Montag, qu’il avait fait cette tentative; il ne lui en fut que plus pénible d’apercevoir en refermant, par la porte qui donnait sur la salle à manger, Mlle Montag causant tranquillement avec le capitaine Lanz; ils étaient peut-être là depuis le moment où K. avait ouvert la porte; ils évitaient de se donner l’air d’observer, parlaient à voix basse et ne suivaient ses mouvements que comme on le fait dans une conversation en regardant distraitement autour de soi. Mais ces regards pesaient terriblement à K., il regagna sa chambre en hâte, en longeant le mur du couloir.
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