B. Oubli de projets

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Une opposition directe et une motivation plus éloignée se sont manifestées simultanément dans le cas de retard suivant. J'ai écrit, pour la collection Grenzfragen des Nerven und Seelenlebens, une brève monographie, qui était un résumé de ma «Science des rêves». Bergmann, de Wiesbaden, m'envoie des épreuves, me priant de les corriger au plus tôt, car il veut faire paraître le fascicule avant Noël. Je corrige les épreuves le soir même et les dépose sur mon bureau, pour les expédier le lendemain matin. Le lendemain, j'oublie totalement mon projet et ne m'en souviens que l'après-midi, en apercevant le paquet sur ma table. J'oublie encore d'emporter les épreuves l'aprèsmidi, le soir, et le matin suivant; enfin, dans l'après-midi du deuxième jour, je me lève brusquement, m'empare des épreuves et sors précipitamment pour mettre mon paquet dans la première boîte aux lettres. Chemin faisant, je me demande avec étonnement quelle peut bien être la cause de mon retard. Il est évident que je ne tiens pas à expédier les épreuves, mais je ne trouve pas le pourquoi. Au cours de la même promenade, j'entre chez mon éditeur de Vienne qui a publié mon livre sur les rêves et lui dis comme poussé par une inspiration subit: «Savez-vous que j'ai écrit une nouvelle variante du Rêve? – Ah, pardon! – Calmez-vous: il ne s'agit que d'une brève monographie pour la collection Löwenfeld-Kurella.» Il n'était pas rassuré; il craignait un préjudice pour la vente du livre. Je cherche à lui prouver le contraire et lui demande finalement: «Si je vous avais demandé l'autorisation, avant d'écrire cette monographie, me l'auriez-vous refusée? – Certainement non!» Je crois, en ce qui me concerne, que j'étais tout à fait dans mon droit et n'ai fait que me conformer à l'usage; il me semble cependant que c'est la même appréhension que celle manifestée par l'éditeur qui a été la cause de mon hésitaiton à renvoyer les épreuves. Cette appréhension se rattache à une circonstance antérieure, et notamment aux objections qui m'ont été faites par un autre éditeur, lorsque, chargé d'écrire pour le «Manuel» de Nothnagel le chapitre sur la paralysie cérébrale infantile, j'ai reproduit dans ce travail quelques pages d'un mémoire sur la même question, paru antérieurement chez l'éditeur de ma Science des rêves. Dans ce dernier cas, le reproche n'était pas plus justifié, car j'ai alors loyalement prévenu l'éditeur du mémoire de mon intention d'y emprunter quelques pages pour mon travail destiné au «Manuel» de Nothnagel.

Mais en remontant la suite de mes souvenirs, j'évoque une circonstance encore plus ancienne où, à l'occasion d'une traduction d'un livre français, j'ai vraiment lésé certains droits de propriété littéraire. J'avais ajouté au texte traduit des notes, sans en avoir demandé l'autorisation à l'auteur, et j'ai eu quelques années plus tard l'occasion de m'assurer que celui-ci n'était pas du tout content de mon sans-gêne.

Il existe un proverbe témoignant que le bon sens populaire sait bien qu'il n'y a rien d'accidentel dans l'oubli de projets: «Ce qu'on a oublié de faire une fois, on l'oubliera encore bien d'autres fois.»

Sans doute, on ne peut pas ne pas reconnaître que tout ce qu'on pourrait dire sur l'oubli et sur les actes manqués est considéré par la plupart des hommes comme connu et comme allant de soi. Mais pourquoi est-il nécessaire de présenter chaque fois à leur conscience ce qu'ils connaissent si bien? Que de fois ai-je entendu dire: «Ne me charge pas de cette commision, je l'oublierai certainement.» Dans cette prédiction il n'y avait sûrement rien de mystique. Celui qui parlait ainsi sentait en lui vaguement le projet de ne pas s'acquitter de la commission et hésitait seulement à l'avouer.

L'oubli de projets reçoit d'ailleurs une bonne illustration de ce qu'on pourrait appeler «la conception de faux projets». J'avais promis à un jeune auteur de rendre compte d'un petit ouvrage qu'il avait écrit. Des résistances intérieures, dont je ne me rendais pas compte, m'ont fait différer ce projet, jusqu'à ce que, l'ayant rencontré un jour et cédant à ses instances, j'aie fini par lui promettre de lui donner satisfaction le soir même. J'étais tout à fait décidé à tenir ma promesse, mais j'avais oublié que j'avais ce même soir à rédiger d'urgence un rapport d'expertise médicale. Ayant fini par me rendre compte que j'avais conçu un faux projet, j'ai renoncé à lutter contre mes résistances et j'ai fait savoir à l'auteur que je retirais ma promesse.
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