5. Les lapsus (3)

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«Dès que j'eus relevé son erreur, je le priai de me l'expliquer, mais je reçus les réponses étonnées habituelles: n'avons-nous pas tous le droit de nous tromper? Après tout, ce n'est qu'un accident, dont il est oiseux de chercher la signification, etc. Je réplique en disant que chaque lapsus a ses causes et ses raisons, que je serais tenté de croire qu'il est lui-même le héros de l'histoire qu'il vient de me raconter, s'il ne m'avait pas dit auparavant qu'il n'était pas marié; car le lapsus s'expliquerait par son désir de voir le procès se terminer à son avantage et non en faveur de sa femme afin de n'avoir pas à lui servir de pension alimentaire et de pouvoir se remarier à New York. Il écarte obstinément mes soupçons, mais manifeste en même temps une réaction affective exagérée, donne des signes d'excitation évidents et finit par éclater de rire. Lorsque je l'invite à me dire la vérité, dans l'intérêt de l'explication scientifique, je reçois la réponse suivante: «Si vous ne voulez pas entendre de ma bouche un mensonge, vous devez croire à mon célibat et vous persuader que votre explication psychanalytique est totalement fausse.» Et il ajoute que des hommes comme moi qui s'attachent aux détails les plus insignifiants sont tout simplement dangereux. Puis il se souvient d'un autre rendez-vous et prend congé de nous.

«Nous étions cependant, le Dr Frink et moi, convaincus de l'exactitude de mon explication; aussi me décidai-je à en obtenir la preuve ou la contre-preuve, en cherchant des renseignements ailleurs. Je me rendis donc, quelques jours plus tard, en visite chez un voisin, un vieil ami du Dr R., qui confirma en tous points mon explication. Le procès avait eu lieu quelques semaines auparavant, l'infirmière ayant été citée comme complice. – Le Dr R. est maintenant convaincu de l'exactitude des mécanismes freudiens.»

L'aveu involontaire perce également, à n'en pas douter, dans le cas suivant communiqué par M. O. Rank:

«Un père, qui n'est guère patriote et qui voudrait élever ses enfants sans leur inculquer le sentiment patriotique qu'il considère comme superflu, blâme ses fils d'avoir pris part à une manifestation patriotique; ceux-ci invoquant l'exemple de leur oncle, le père s'écrie: «votre oncle est le dernier homme que vous devriez imiter; c'est un idiot» (la prononciation allemande est idiote). Voyant l'expression étonnée de ses enfants, que ce ton surprend, le père s'aperçoit qu'il a commis un lapsus et dit en s'excusant: «J'ai naturellement voulu dire: patriote

M. J. Stärcke rapporte un cas de lapsus dans lequel l'auteur (une dame) reconnaît elle-même un aveu involontaire; M. Stärcke fait suivre son récit d'une remarque excellente, bien que dépassant les limites d'une simple interprétation (1. c .).

«Une femme-dentiste promet à sa sœur de l'examiner un jour, afin de voir si les faces latérales de ses deux grosses molaires sont en contact (c'est-à-dire s'il n'existe pas entre elles un intervalle où puissent rester des débris alimentaires). Mais la dentiste tardant à tenir sa promesse, sa sœur dit en plaisantant: «Elle soigne bien une collègue en ce moment; quant à sa sœur, elle la fait toujours attendre.» Enfin la dentiste se décide à pratiquer l'examen promis, trouve en effet une petite cavité dans une des molaires et dit: «Je ne croyais pas que la dent fût si malade: je croyais seulement qu'il n'y avait pas de «comptant» (Kontant)… je veux dire de «contact» (Kontakt).» «Tu vois bien, répliqua sa sœur en riant, que c'est seulement par avarice que tu m'as fait attendre plus longtemps que tes malades payants!»

(Je n'ai évidemment pas le droit de substituer mes idées à celles de cette dame, ni d'en tirer des conclusions, mais en entendant le récit de ce lapsus, j'ai pensé que ces deux jeunes femmes charmantes et intelligentes n'étaient pas mariées et connaissaient très peu de jeunes gens; et je me suis demandé si elles n'auraient pas plus de contact avec des jeunes gens, si elles avaient plus de comptant).»

Voici un autre lapsus auquel on peut attribuer la signification d'un aveu involontaire. Je cite le cas d'après Th. Reik (1. c. ).

«Une jeune fille allait être fiancée à un jeune homme qui ne lui était pas sympathique. Afin de rapprocher les jeunes gens, les parents conviennent d'un rendez-vous auquel assistent les fiancés éventuels. La jeune fille a assez de tact et de sang-froid pour ne pas montrer au prétendant, qui est très galant envers elle, les sentiments peu favorables qu'il lui inspire. Cependant, à sa mère qui lui demande comment elle a trouvé le jeune homme, elle ré-pond poliment: «il est tout à fait désagréable (liebensWIDRiG, au lieu de liebensWÜRDIG – aimable)

Non moins intéressant à cet égard est un autre lapsus que M. 0. Rank décrit (Internat. Zeitschr. f Psychoanal.) comme un «lapsus spirituel».

«il s'agit d'une femme mariée qui aime entendre raconter des anecdotes et ne dédaigne pas les aventures extraconjugales, lorsqu'elles sont récompensées par des cadeaux en conséquence. Un jour, un jeune homme qui sollicite ses faveurs lui raconte, non sans intention, l'histoire suivante bien connue: «Un négociant sollicite les faveurs de la femme, quelque peu prude, de son associé et ami; elle lui promet enfin de lui céder, en échange d'une somme de mille florins. Le mari de la dame devant s'absenter sur ces entrefaites, l'associé lui emprunte mille florins en lui promettant de les rembourser le lendemain même à sa femme. Il va sans dire qu'en remettant à celle-ci la somme en question, il lui fait croire que cette somme, dont il tait naturellement la provenance, représente le cadeau promis. Lorsque le mari, à son retour, lui réclame les mille florins que devait lui remettre son associé, elle se croit découverte, et l'histoire se termine pour elle non seulement par un préjudice matériel, mais encore par un affront.» – Lorsque le jeune homme, au cours de son récit, en est arrivé au passage où le séducteur dit à son associé: «je rembourserai demain cet argent à ta femme», son auditrice l'interrompt par ces mots significatifs: «Dites donc, ne me l'avez-vous pas déjà remboursé… pardon, je voulais dire: raconté?» Elle ne pouvait guère avouer plus nettement, à moins de l'exprimer directement, qu'elle était toute disposée à se donner dans les mêmes conditions.»

M. V. Tausk publie (dans Internat. Zeitschr. f Psychoanal., IV, 1916) un beau cas d'aveu involontaire, avec solution inoffensive, sous ce titre: La foi des pères.

«Comme ma fiancée était chrétienne, raconte M. A., et ne voulait pas se convertir au judaïsme, j'ai été obligé, pour pouvoir me marier, de me convertir du judaïsme au christianisme. Ce n'est pas sans une résistance intérieure que j'ai changé de confession, mais la fin me semblait justifier cette conversion, et cela d'autant plus que je ne possédais aucune conviction religieuse et que je n'étais rattaché au judaïsme que par des liens purement extérieurs. Mais malgré ma conversion, je n'ai jamais désavoué le judaïsme, et parmi mes relations peu de gens savent que je suis converti.

«De mon mariage sont nés deux fils, tous deux baptisés selon les rites chrétiens. Lorsque mes garçons eurent atteint un certain âge, je les mis au courant de leurs origines juives, afin que, subissant les influences antisémites de l'école, ils n'y trouvent pas une raison superflue et absurde de se retourner contre leur père.

«Il y a quelques années, je passais mes vacances avec mes garçons, qui fréquentaient alors l'école primaire, à D., dans une famille d'instituteurs. Un jour la femme de l'instituteur (ils étaient d'ailleurs l'un et l'autre amicalement disposés à notre égard), qui ne se doutait pas de nos origines juives, se livra à quelques invectives assez violentes contre les Juifs. J'aurais dû relever bravement le défi, pour donner à mes fils un exemple de «courage de mes opinions», mais je reculai devant les explications désagréables qui auraient certainement suivi mon aveu. Je fus encore retenu par la crainte d'avoir à quitter l'agréable séjour que nous avions trouvé et de gâter les vacances, déjà assez courtes, dont nous disposions, mes enfants et moi, au cas où nos hôtes, apprenant que nous sommes juifs, auraient adopté à notre égard une attitude inamicale.

«Craignant cependant que mes garçons, qui n'avaient pas les mêmes raisons de se retenir que moi, ne finissent par trahir naïvement et sincèrement la fatale vérité, s'ils continuaient à assister à la conversation, je pris la décision de les éloigner, en les envoyant dans le jardin.

«Allez dans le jardin, Juifs», dis-je; mais je me corrigeai aussitôt: «garçons». (Confusion entre les mots Juden – juifs, et Jungen-garçons) . C'est ainsi qu'il m'a fallu commettre un lapsus pour exprimer le «courage de mes opinions.» Mes hôtes n'ont sans doute tiré de ce lapsus, dont ils ne voyaient pas la signification, aucune conclusion; quant à moi, j'en ai tiré cette leçon qu'on ne renie pas impunément la foi de ses pères, lorsqu'on est fils soi-même et qu'on a des fils.»

Et voici un cas moins anodin et que je ne communiquerais pas, s'il n'avait été consigné, pendant l'audience même, par le magistrat, en vue de cette collection:

Un réserviste accusé de vol avec effraction répond à une question concernant sa situation militaire: «Je fais toujours partie de la territoriale, attendu que je n'ai pas encore été libéré de ce service.» C'est du moins ce qu'il voulait dire; mais au lieu d'employer le mot correct DIENSTstellung, il a commis un lapsus, en disant DIEBSstellung (le mot Dieb signifiant voleur).

Le lapsus est assez amusant, lorsque le malade s'en sert pour confirmer, au cours d'une contradiction, ce que le médecin cherche à établir pendant un examen psychanalytique. J'avais un jour à interpréter le rêve d'un de mes patients, rêve au cours duquel s'était présenté le nom Jauner. Le rêveur connaissait une personne portant ce nom, mais il était impossible de trouver la raison pour laquelle cette personne était mêlée au rêve; aussi risquai-je la supposition que ce pouvait être à cause de la ressemblance qui existe entre ce nom Jauner et le mot injurieux Gauner (escroc). Le patient nia avec énergie et colère, mais tout en niant il commit un lapsus dans lequel la lettre g se trouvait également remplacée par la lettre j: il me dit notamment que ma supposition était trop «risquée», mais en substituant au mot gewagt le mot (inexistant) jewagt. Il m'a suffi d'attirer son attention sur ce lapsus, pour obtenir la confirmation de mon interprétation.

Lorsque, dans une discussion sérieuse, l'un des deux adversaires commet un lapsus de ce genre, qui lui fait dire le contraire de ce qu'il voulait, cela le met dans un état d'infériorité par rapport à l'autre, qui manque rarement de profiter de l'amélioration de sa position.

Dans de tels cas, il devient évident que, d'une façon générale, les hommes attachent aux lapsus et autres actes manqués la même signification que celle que nous préconisons dans cet ouvrage, alors même qu'en théorie ils ne sont pas partisans de notre manière de voir et qu'ils ne sont pas disposés, en ce qui les concerne personnellement, à renoncer aux avantages qu'ils retirent le cas échéant de l'indifférence dont jouissent les actes manqués. L'hilarité et la moquerie que ces erreurs de langage provoquent au moment décisif témoignent contre l'opinion généralement admise, d'après laquelle ces erreurs seraient des lapsus linguae purs et simples, sans aucune portée psychologique. Ce fut un personnage de l'importance du chancelier de Bülow qui, voulant sauver une situation et défendre son empereur (Nov. 1907), commit dans son discours un lapsus qui pouvait donner raison à ses adversaires:

«En ce qui concerne le présent, le cours nouveau inauguré par Guillaume Il, je ne puis que répéter ce que j'ai déjà dit il y a un an, à savoir qu'il serait inexact et injuste de parler d'un cercle de conseillers responsables inspirant notre empereur (vives exclamations: irresponsables!) je voulais dire de conseillers irresponsables. Excusez ce lapsus linguae.» (Hilarité.)

Grâce à l'accumulation de négations, la phrase du prince de Bülow a pu passer inaperçue pour une partie du public; en outre, la sympathie dont jouissait l'orateur et la difficulté de sa tâche, dont tout le monde se rendait compte, ont eu cet effet que personne n'a songé à exploiter contre lui ce lapsus. Il en fut autrement d'un autre lapsus, commis une année plus tard, dans cette même enceinte du Reichstag, par un député qui, voulant dire qu'on doit faire connaître à l'Empereur la vérité «sans ménagements» (rückhaltlos) a, malgré lui, trahi le véritable sentiment qu'abritait sa loyale poitrine:

«Dép. Lattmann (national allemand): Dans cette question de l'adresse, nous devons nous placer sur le terrain de l'ordre du jour de nos travaux. Aussi le Reichstag a-t-il le droit de faire parvenir à l'Empereur une adresse de ce genre. Nous croyons que l'unité des désirs et des idées du peuple allemand exige aussi que nous soyons d'accord sur les vérités que nous voulons faire connaître à l'empereur et, si nous devons le faire en tenant compte de nos sentiments monarchiques, nous sommes également en droit de le faire l'échine courbée (rückgratlos). (Hilarité bruyante qui dure plusieurs minutes.) Messieurs, je voulais dire non (d'échine courbée» (rückgratlos), mais «sans ménagements» (rückhaltlos) et nous voulons espérer que, dans les moments pénibles que nous traversons, l'Empereur voudra bien prendre en considération cette manifestation franche et sincère de son peuple.»

Le journal Vorwaerts n'a pas manqué, dans son numéro du 12 Novembre 1906, de relever la signification psychologique de ce lapsus:
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