CHAPITRE II (1)

[1] [2] [3]

«Cette affaire ne me touche pas; je la juge donc de sang-froid et à supposer que vous attachiez quelque importance à ce prétendu tribunal, vous pouvez avoir grand avantage à m’écouter. Je vous prie donc de remettre à plus tard vos réflexions sur mes propos, car je ne dispose que de peu de temps et je vais repartir bientôt.»

Le silence se fit immédiatement, tant K. était déjà maître de l’assemblée. On ne criait plus comme au début, on n’applaudissait même plus et l’on semblait déjà convaincu ou en bonne voie de le devenir.

«N’en doutons pas, messieurs, poursuivit K. tout bas, car il était heureux de jouir de l’attention passionnée de l’assemblée – il se produisait dans ce calme une sorte de bourdonnement plus excitant que les bravos les plus ravis – n’en doutons pas, messieurs, derrière les manifestations de cette justice, derrière mon arrestation par conséquent, pour parler de moi, et derrière l’interrogatoire qu’on me fait subir aujourd’hui, se trouve une grande organisation, une organisation qui non seulement occupe des inspecteurs vénaux, des brigadiers et des juges d’instruction stupides, mais qui entretient encore des juges de haut rang avec leur indispensable et nombreuse suite de valets, de scribes, de gendarmes et autres auxiliaires, peut-être même de bourreaux, je ne recule pas devant le mot. Et maintenant le sens, messieurs, de cette grande organisation? C’est de faire arrêter des innocents et de leur intenter des procès sans raison et, la plupart du temps aussi – comme dans mon cas – sans résultat. Comment, au milieu du non-sens de l’ensemble d’un tel système, la vénalité des fonctionnaires n’éclaterait-elle pas?

«Il est impossible, messieurs, qu’elle n’éclate pas au grand jour! Le plus grand juge n’arriverait pas à l’étouffer, même pour lui! Et c’est pourquoi les inspecteurs cherchent à voler les effets sur le dos de l’accusé, c’est pourquoi les brigadiers s’introduisent chez les gens, c’est pourquoi des innocents doivent se voir déshonorés devant des assemblées entières au lieu d’être interrogés normalement! Les inspecteurs ne m’ont parlé que de dépôts dans lesquels on place la propriété des accusés; je voudrais bien voir ces dépôts, où un avoir péniblement amassé croupit sans fruit en attendant d’être volé par des fonctionnaires criminels!»

K. fut interrompu par un glapissement venu du fond de la salle; il mit sa main en visière sur ses yeux pour arriver à voir un peu, car la terne lueur du jour donnait un ton blanchâtre aux vapeurs de la salle et aveuglait quand on cherchait à voir. Le cri venait du côté de la laveuse dans laquelle K. avait reconnu, dès son entrée, un grave élément de désordre. Était-elle coupable cette fois-ci? On ne pouvait pas s’en rendre compte [8]. K. voyait seulement qu’un homme l’avait attirée dans un coin près de la porte et la pressait contre son corps. Mais ce n’était pas elle qui criait, c’était l’homme; il avait la bouche grande ouverte et regardait au plafond. [7]Au lieu de «réunion politique» il y avait eu d’abord «réunion socialiste». [8]Passage supprimé par l’auteur - K. vit seulement que sa blouse déboutonnée pendait tout autour d’elle à partir de la ceinture, qu’un homme l’avait entraînée dans un coin, près de la porte, et pressait contre sa poitrine celle de la femme qui n’avait plus que sa chemise sur le haut du corps.
[1] [2] [3]



Добавить комментарий

  • Обязательные поля обозначены *.

If you have trouble reading the code, click on the code itself to generate a new random code.