CHAPITRE PREMIER (2)

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– Si c’est pour les besoins de votre explication, poussez tout de même la table de nuit, dit Mlle Bürstner qui ajouta au bout d’un moment d’une voix plus faible: «Je suis si fatiguée ce soir que je vous en passe plus qu’il ne sied.»

K. poussa le petit meuble jusqu’au milieu de la chambre et s’assit derrière.

«Il faut que vous vous représentiez exactement la position des acteurs; c’est une chose très intéressante. Moi je représente le brigadier, là-bas deux inspecteurs sont assis sur le bahut et les trois jeunes gens se tiennent debout en face des photographies. À l’espagnolette de la fenêtre une blouse blanche que je ne mentionne que pour mémoire; et alors maintenant ça commence. Ah! j’allais m’oublier, moi qui représente pourtant le personnage le plus important! Je me tiens donc debout, ici, en face de la table de nuit. Le brigadier est assis le plus confortablement du monde, les jambes croisées, le bras pendant comme je vous le fais voir derrière le dossier de sa chaise…, un gros pignouf, pour dire son nom. Et alors ça commence réellement. Le brigadier appelle comme s’il avait à me réveiller, il pousse un véritable cri, il faut malheureusement pour vous le faire comprendre que je me mette à crier moi aussi; ce n’est d’ailleurs que mon nom qu’il crie de cette façon.»

Mlle Bürstner, qui écoutait en riant, mit bien son index sur sa bouche pour empêcher K. de crier, mais il était déjà trop tard; K. était trop bien entré dans la peau de son personnage; il cria lentement: «Joseph K.» moins fort d’ailleurs qu’il n’avait menacé de le faire, mais suffisamment cependant pour que le cri une fois lancé semblât ne se répandre que petit à petit dans la chambre.

On entendit alors frapper à la porte de la pièce voisine à petits coups secs et réguliers. Mlle Bürstner pâlit et porta la main à son cœur.

L’effroi de K. avait été d’autant plus grand qu’il était resté encore un instant incapable de penser à autre chose qu’aux événements du matin et à la jeune fille à laquelle ces événements l’avaient amené. À peine s’était-il ressaisi que Mlle Bürstner bondit vers lui et lui prit la main:

«Ne craignez rien, chuchota-t-il, ne craignez rien, j’arrangerai tout. Mais qui cela peut-il bien être? Il n’y a ici que le salon et personne n’y couche.

– Mais si, lui souffla Mlle Bürstner dans l’oreille, depuis hier il y a le neveu de Mme Grubach, un capitaine, qui y couche parce qu’elle n’a pas d’autre pièce libre. Je l’avais oublié moi aussi. Pourquoi a-t-il fallu que vous poussiez un tel cri? Ah! mon Dieu, que je suis malheureuse! [4]Passage supprimé par l’auteur - L’idée qu’il risquait de cette façon de leur faciliter sur lui-même une besogne d’observation dont ils pouvaient être chargés, lui semblait tellement ridicule, tellement chimérique, qu’il mit le front dans ses mains et demeura ainsi pendant quelques minutes avant de revenir à lui. «Encore quelques idées de ce genre, se dit-il, et tu fais un fou achevé.» Mais après cela il n’en éleva que plus fort sa voix qui était un peu stridente. [5]Passage supprimé par l’auteur - Devant la maison un militaire allait et venait du pas bruyant et régulier des sentinelles. Il y avait donc aussi, maintenant, un homme de garde devant l’immeuble. K. dut se pencher fortement pour le voir, car le soldat se tenait près du mur. «Hep là-bas!» cria-t-il, mais non pas assez fort pour que le soldat pût l’entendre. Il apparut d’ailleurs bientôt que le soldat n’attendait qu’une bonne qui était allée en face lui chercher de la bière: la silhouette de cette femme se découpa sur le pas de la porte dans un rectangle lumineux. K. se demanda si l’idée que le factionnaire fût là pour lui ne lui avait qu’effleuré l’esprit; il ne sut qu’en penser. [6]Passage supprimé par l’auteur - «Vous êtes un homme insupportable, on ne sait pas si vous plaisantez ou si vous parlez sérieusement.» «Ce n’est pas tout à fait inexact», dit K. tout au plaisir de bavarder avec une jolie fille, «ce n’est pas tout à fait inexact; je manque de sérieux, aussi suis-je obligé de chercher à me débrouiller avec la plaisanterie, et pour le plaisant et pour le sérieux. Mais, arrêté, je l’ai été sérieusement.»
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