CHAPITRE IX (1)

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«Tu es Joseph K., dit l’abbé.

– Oui», dit K. en songeant avec quelle franchise il prononçait autrefois son nom.

Depuis quelque temps, au contraire, ce lui était un vrai supplice; et maintenant tout le monde savait ce nom.

Qu’il était beau de n’être connu qu’une fois qu’on s’était présenté!

«Tu es accusé, dit l’abbé d’une voix extrêmement basse.

– Oui, dit K., on m’en a avisé.

– Alors, tu es celui que je cherche, dit l’abbé. Je suis l’aumônier de la prison.

– Ah! bien, dit K.

– Je t’ai fait venir ici, dit l’abbé, pour te parler.

– Je ne le savais pas, dit K. J’étais venu ici pour montrer la cathédrale à un Italien.

– Laisse là l’accessoire, dit l’abbé. Que tiens-tu dans ta main? Est-ce un livre de prières?

– Non, répondit K., c’est un album des curiosités de la ville.

– Lâche-le», lui dit l’abbé.

K. le jeta si violemment qu’il se déchira en claquant et roula sur le sol.

«Sais-tu que ton procès va mal? demanda l’abbé.

– C’est bien ce qu’il me semble, dit K. Je me suis donné beaucoup de mal, mais jusqu’ici sans résultat; à vrai dire, ma requête n’est pas encore terminée.

– Comment penses-tu que cela finira? dit l’abbé.

– Autrefois, je pensais, dit K., que mon procès finirait bien, mais maintenant j’en doute parfois. Je ne sais pas comment il finira. Le sais-tu, toi?

– Non, dit l’abbé, mais je crains qu’il ne finisse mal. On te tient pour coupable. Ton procès ne sortira peut-être pas du ressort d’un petit tribunal. Pour le moment, on considère du moins ta faute comme prouvée.

– Mais je ne suis pas coupable! dit K., c’est une erreur. D’ailleurs, comment un homme peut-il être coupable? Nous sommes tous des hommes ici, l’un comme l’autre.

– C’est juste, répondit l’abbé, mais c’est ainsi que parlent les coupables.

– Es-tu prévenu contre moi, toi aussi? demanda K.

– Je n’ai pas de prévention contre toi, répondit l’abbé.

– Je te remercie, dit K. Mais tous ceux qui s’occupent du procès ont une prévention contre moi. Ils la font partager à ceux qui n’ont rien à y voir, ma situation devient de plus en plus difficile.

– Tu te méprends sur les faits, dit l’abbé. La sentence ne vient pas d’un seul coup, la procédure y aboutit petit à petit.

– Voilà donc où j’en suis, dit K. en laissant retomber la tête.

– Que vas-tu faire maintenant pour ton procès? demanda l’abbé.

– Je vais encore chercher de l’aide, dit K. en relevant la tête pour voir ce que l’ecclésiastique en pensait. Il y a certaines possibilités que je n’ai pas encore exploitées.

– Tu vas trop chercher l’aide des autres, et surtout celle des femmes, lui répondit l’abbé d’un air désapprobateur. Ne t’aperçois-tu donc pas qu’elles ne sont pas d’un vrai secours?

– Parfois, dit K., et même souvent, je pourrais te donner raison, mais pas toujours. Les femmes ont une grande puissance. Si j’arrivais à décider quelques femmes que je connais à se liguer pour travailler en ma faveur je finirais bien par aboutir. Surtout avec cette justice où l’on ne trouve guère que des coureurs de jupons. Montre une femme au loin au juge d’instruction, il renversera sa table et l’accusé pour pouvoir arriver à temps.»

L’abbé pencha la tête vers l’appui; c’était la première fois qu’il semblait oppressé par le toit de la chaire. Quel temps pouvait-il faire dehors? Ce n’était plus une journée grise, c’était déjà la pleine nuit. Nulle couleur des grands vitraux n’arrivait à couper du moindre reflet l’ombre des murs.

Et c’était pourtant maintenant que le sacristain se mettait à éteindre l’un après l’autre tous les cierges du maître-autel.

«M’en veux-tu? demanda K. à l’abbé. Tu ne sais peut-être pas quelle justice tu sers.»

Il ne reçut pas de réponse.

«Je n’ai parlé que de mes expériences», dit K.

Mais nulle réponse ne vint encore de là-haut.

«Je ne voulais pas t’offenser», dit K.

Mais l’abbé lui cria d’en haut:

«Ne vois-tu donc pas à deux pas?»
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