8. Méprises et maladresses (1)

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Une autre fois, je me rendis coupable de la destruction d'un objet pour le même motif, à cette différence près que le sacrifice m'était dicté non par la reconnaissance envers le sort, mais par le désir de détourner un malheur. Je m'étais laissé aller un jour à adresser à un ami fidèle et dévoué un reproche fondé uniquement sur l'interprétation de certaines manifestations de son inconscient. Il prit mal la chose et m'écrivit une lettre dans laquelle il me recommandait d'épargner aux amis le traitement psychanalytique. Je dus reconnaître qu'il avait raison et lui fis une réponse conciliante. Pendant que j'écrivais ma réponse, je fis à un moment donné un geste de ma main, au cours duquel le porte-plume me glissa d'entre les doigts et s'abattit sur une superbe figurine égyptienne émaillée, de toute récente acquisition, et l'endommagea très sérieusement. Aussitôt le malheur accompli, je compris que je l'avais provoqué, pour en éviter un autre, plus grand. Heureusement, l'amitié et la figurine ont pu être réparées, sans que les traces des fissures soient trop visibles.

Dans un troisième cas, la destruction de l'objet tenait à des raisons moins sérieuses. Il s'agissait, pour me servir d'une expression de Th. Vischer (Auch einer), d'une «exécution» masquée d'un objet qui avait cessé de me plaire. J'avais eu pendant longtemps une canne à manche d'argent; lorsque la mince plaque d'argent fut un jour endommagée, sans que j'eusse en quoi que ce soit contribué à cet incident, je la fis réparer, mais la réparation fut mal faite. Quelques jours après, jouant avec un de mes garçons, je me servis du manche de la canne pour accrocher sa jambe. Le manche se cassa naturellement en deux, et je fus débarrassé de ma canne.

Le calme et l'impassibilité avec lesquels on accepte dans tous ces cas le dommage subi indiquent bien qu'on a été guidé par une intention inconsciente dans l'exécution des actes ayant abouti à la destruction des objets.

Quelquefois, en recherchant les motifs d'un acte manqué aussi insignifiant que la destruction d'un objet, on trouve des raisons qui, tout en remontant à une époque éloignée de la vie d'un homme, se rattachent encore à sa situation présente. L'analyse suivante, publiée par M. L. Jekels (Internat. Zeitschr. f. Psychoanal., I, 1913), nous en fournit un exemple:

«Un médecin se trouvait en possession d'un vase à fleurs en grès. Sans être précieux, ce vase n'en était pas moins très joli. Il l'avait reçu, il y a longtemps, en cadeau, avec beaucoup d'autres objets, dont quelques-uns de valeur, d'une de ses patientes (mariée). Lorsqu'il devint évident que celle-ci était atteinte de psychose, le médecin s'empressa de restituer à la famille de la malade tous les objets qu'il avait reçus, à l'exception d'un seul vase, de peu de valeur, dont il ne put se séparer, probablement à cause de sa beauté.

«Notre médecin, homme très scrupuleux, ne s'était pas décidé à cette appropriation sans une certaine lutte intérieure, car il se rendait parfaitement compte de l'indélicatesse de son acte; mais il cherchait à étouffer son remords, en invoquant le peu de valeur du vase, la difficulté de le faire emballer de façon à ce qu'il arrive intact à destination, etc.

«Lorsqu'il fut obligé, quelques mois plus tard, de s'adresser à un avocat pour faire réclamer et recouvrer un reliquat d'honoraires que la famille se refusait à acquitter bénévolement, il fut pris à nouveau de remords; il craignit à un moment donné que la famille ne découvrît le détournement dont il s'était rendu coupable et ne répondît à sa réclamation par des poursuites pénales.

«Son remords avait pris à un moment donné une intensité telle qu'il se demandait s'il ne ferait pas bien de renoncer à sa réclamation, même si elle était cent fois plus élevée, à titre de dédommagement pour l'objet détourné; mais il finit par renoncer à cette idée qu'il trouva vraiment trop absurde.

«Alors qu'il était dans cette disposition d'esprit, il lui arriva, en renouvelant l'eau du vase, d'accomplir un mouvement particulièrement maladroit, sans aucun lien organique avec l'acte qu'il exécutait, et à la suite duquel le vase se trouva projeté à terre et brisé en cinq ou six grands morceaux. Et dire que c'était un homme qui savait dominer son appareil musculaire et pouvait compter sur les doigts les objets qu'il avait cassés dans sa vie! Le plus curieux est que cet accident était arrivé le lendemain d'un dîner qu'il avait offert à quelques amis et en vue duquel il s'était décidé, non sans beaucoup d'hésitations, à placer ce vase, rempli de fleurs, sur la table de la salle à manger; s'étant aperçu, quelques minutes avant l'accident, que le vase avait été laissé dans cette pièce, il était allé le chercher lui-même pour le transporter au salon où il restait habituellement.

«Le premier moment d'affolement passé, il se mit à ramasser les morceaux et, en les ajustant les uns aux autres, il constata qu'il serait possible de reconstituer le vase sans solution de continuité; mais il n'eut pas plus tôt fait cette constatation que les deux ou trois plus gros morceaux lui glissèrent des mains, retombèrent à terre et se trouvèrent réduits en miettes, ce qui lui enleva tout espoir de faire reconstituer le vase.

«Sans doute, cet acte manqué avait pour tendance actuelle de faciliter au médecin le recouvrement de son dû, puisqu'il supprimait ce qu'il s'était approprié et ce qui l'empêchait dans une certaine mesure de réclamer les honoraires contestés.

«Mais, en plus de ce déterminisme direct, l'acte manqué dont nous nous occupons en présente encore un autre, beaucoup plus profond et plus important aux yeux du psychanalyste. Il présente aussi un déterminisme symbolique, étant donné que le vase constitue un symbole incontestable de la femme.

«Le héros de cette petite histoire avait été marié; et sa femme, jeune, jolie et qu'il adorait, était morte dans des circonstances tragiques. À la suite de ce malheur, il tomba dans un état de profonde neurasthénie, aggravée par le fait qu'il se considérait comme coupable de la mort de sa femme (j'ai brisé un joli vase).

«À partir de ce moment, il se tint à l'écart des femmes, ne voulut entendre parler ni de remariage ni d'aventures amoureuses, que son inconscient lui faisait apparaître comme des actes d'infidélité à l'égard de celle qu'il avait tant aimée, mais que son conscient refusait, en alléguant qu'il portait malheur aux femmes, qu'il ne voulait pas qu'une autre femme se suicidât à cause de lui, etc. (On voit qu'il ne devait pas conserver longtemps le vase!)

«Étant donné, cependant, l'intensité de sa libido, il n'y a rien d'étonnant qu'il vît dans les relations avec des femmes mariées le moyen le plus adéquat, parce que nécessairement passager, de satisfaire cette libido (d'où appropriation du vase appartenant à une autre personne).

«Les deux faits suivants apportent une intéressante confirmation de cette interprétation symbolique:

«Voulant guérir de sa névrose, il s'était soumis au traitement psychanalytique. Au cours de la séance, alors qu'il racontait comment il avait brisé le vase en grès (terrestre), il en vint à parler de nouveau de son attitude à l'égard des femmes et prétendit qu'il était exigeant jusqu'à l'absurdité: c'est ainsi, par exemple, qu'il exigeait des femmes une beauté «n'ayant rien de terrestre». Il avouait par là qu'il restait toujours attaché à sa femme (morte, donc ayant perdu toute nature terrestre) et ne voulait rien savoir de la «beauté terrestre»; d'où la destruction du vase en terre.

«Et à l'époque où, entré dans la phase du «transfert», il avait conçu le projet imaginaire d'épouser la fille de son médecin, il fit cadeau à celui-ci… d'un vase, comme pour montrer comment il entendait prendre sa revanche du malheur qui lui était arrivé.

«La signification symbolique de cet acte manqué est susceptible encore de plusieurs variantes, liées à certains détails, comme, par exemple, l'hésitation qu'il éprouvait à remplir le vase, etc. Mais ce qui me paraît le plus intéressant, c'est l'existence de plusieurs motifs, de deux tout au moins, qui, venant du préconscient et de l'inconscient et agissant, selon toute vraisemblance, séparément, se reflètent dans le dédoublement de l'acte manqué: le renversement du vase et sa chute à terre.»

e) Le fait de laisser tomber, de renverser, de détruire les objets semble souvent être utilisé comme l'expression de suites d'idées conscientes: c'est ce dont on peut quelquefois s'assurer à l'aide de l'analyse, mais plus souvent en tenant compte des interprétations populaires, superstitieuses ou moqueuses qui s'y rattachent. On sait les interprétations qui se rattachent au renversement d'une salière, d'un verre rempli de vin, à la chute d'un couteau dont la pointe vient se ficher dans le parquet, etc. Je montrerai plus loin jusqu'à quel point ces interprétations superstitieuses méritent d'être prises en considération. Je ferai seulement remarquer ici qu'un acte maladroit ne possède pas dans tous les cas la même signification, mais sert, selon les circonstances, à exprimer telle ou telle intention.

Il y eut récemment dans ma maison une période pendant laquelle les verres et la vaisselle de porcelaine subissaient un véritable massacre; j'y ai moi-même contribué dans une, mesure considérable. Mais cette petite endémie psychique était facile à expliquer: on était à quelques jours du mariage de ma fille aînée. Dans cette circonstance solennelle on a toujours l'habitude de briser un objet en verre ou en porcelaine, en formulant des vœux de bonheur. Cette coutume peut avoir la signification d'un sacrifice et plusieurs autres sens symboliques.

Lorsque des domestiques détruisent des objets fragiles, en les laissant tomber, on ne pense pas tout de suite à chercher une explication psychologique de ces actes; il n'en est pas moins probable que ces derniers sont déterminés, en partie tout au moins, par des motifs obscurs. Rien n'est plus étranger à l'homme dépourvu de culture que l'amour de l'art et des œuvres d'art. Nos domestiques éprouvent une sourde hostilité à l'égard de ces derniers, surtout lorsque ces objets, dont ils ne comprennent pas la valeur, leur imposent un travail supplémentaire et minutieux. Au contraire, le personnel domestique des établissements scientifiques, qui possède cependant le même degré de culture et a les mêmes origines que nos domestiques de maisons bourgeoises, se distingue par l'habileté et l'assurance avec lesquelles il manie les objets délicats, habileté et assurance que ces serviteurs n'acquièrent qu'après s'être identifiés avec leur chef et avoir pris l'habitude de se considérer comme attachés d'une façon permanente à l'établissement dont ils font partie.

J'intercale ici la communication d'un jeune technicien, qui nous révèle le mécanisme ayant présidé à la détérioration d'un objet:

«Depuis quelque temps, j'étais occupé, avec plusieurs de mes collègues de l'École Supérieure, à une série d'expériences très compliquées sur l'élasticité, travail dont nous nous étions chargés bénévolement, mais qui commençait à nous prendre un temps exagéré. Un jour où je me rendais au laboratoire, avec mon collègue F…, celui-ci me dit qu'il était désolé de perdre tant de temps aujourd'hui, attendu qu'il avait beaucoup à faire chez lui. Je ne pus que l'approuver et j'ajoutai en plaisantant et en faisant allusion à un incident qui avait eu lieu la semaine précédente: «Espérons que la machine restera aujourd'hui en panne, comme l'autre fois, ce qui nous permettra de suspendre le travail et de partir de bonne heure!» Lors de la distribution du travail mon collègue F… se trouva chargé de régler la soupape de la presse, c'est-à-dire de laisser pénétrer lentement le liquide de pression de l'accumulateur dans le cylindre de la presse hydraulique, en ouvrant la soupape avec précaution; celui qui dirige l'expérience se tient près du manomètre et doit, lorsque la pression voulue est atteinte, s'écrier à haute voix: «Halte!» Ayant entendu cet appel, F… saisit la soupape et la tourna de toutes ses forces… à gauche (toutes les soupapes sans exception se ferment par rotation à droite!). Il en résulta que toute la pression de l'accumulateur s'exerça dans la presse, dépassant la résistance de la canalisation et ayant pour effet la rupture d'une soudure de tuyaux: accident sans gravité, mais qui nous obligea à interrompre le travail et à rentrer chez nous. Ce qui est curieux, c'est que mon collègue F…, auquel j'ai eu l'occasion, quelque temps après, de parler de cet incident, prétendait ne pas s'en souvenir, alors que j'en ai gardé, en ce qui me concerne, un souvenir certain.»
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