9. Actes symptomatiques et accidentels (2)

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– Depuis six mois, tu le sais, répondit Esther. Mais m'as-tu vue aujourd'hui?

– Oui, tout à l'heure, dans le tramway; et je te regardais dans les yeux, au point que je croyais te parler.

– Beaucoup de choses se sont passées depuis la, dernière fois.

– Oui, et je croyais que tout était fini entre nous.

– Comment cela?

– Tous lès petits objets que j'ai reçus de toi se sont brisés et cassés, et cela d'une façon mystérieuse. Mais c'est connu depuis longtemps.

– Que dis-tu? Je me rappelle maintenant une foule de cas que je considérais comme de simples effets du hasard. Un jour j'ai reçu de ma grand-mère un pince-nez; c'était à l'époque où nous étions encore bonnes amies. Les verres étaient en cristal de roche taillé et m'étaient très utiles lorsque je pratiquais des autopsies; ce pince-nez était une véritable merveille que je gardais soigneusement. Un jour je rompis avec la vieille et elle fut en colère contre moi. Or, à la première autopsie qui suivit cette brouille, les verres tombèrent de leur monture, sans aucune cause. Je croyais qu'il s'agissait d'un accident des plus simples. Je fis donc réparer le pince-nez. Mais il continua de me refuser son service. Je l'ai fourré dans mon tiroir et ne sais plus ce qu'il est devenu.

– Bizarre! Ce sont les objets liés aux yeux qui sont les plus sensibles. J'avais reçu d'un ami une lorgnette de théâtre; elle était tellement bien adaptée à mes yeux que m'en servir était pour moi un véritable plaisir. Un jour, cet ami et moi sommes devenus ennemis. Tu sais, cela arrive, sans cause apparente; l'un trouve tout à coup qu'on a tort de rester unis. Voulant me servir, pour la première fois après cet événement, de ma lorgnette, je n'arrivai pas à voir clair. Je trouvais les deux verres trop rapprochés et je voyais deux images. Inutile de te dire qu'il n'en était rien: les verres n'étaient pas plus rapprochés et l'écartement de mes yeux n'avait pas augmenté. C'était un de ces miracles qui s'accomplissent tous les jours et qu'un mauvais observateur n'aperçoit pas. L'explication? La force psychique de la haine est plus grande que nous ne le croyons . À propos: la bague que tu m'as donnée a perdu sa pierre. Impossible de la réparer, impossible. Veux-tu maintenant te séparer de moi?… (Die gotischen Zimmer, pp. 258 et suiv.).»

C'est ainsi que, dans le domaine des actes symptomatiques, l'observation psychanalytique doit également accorder la priorité aux poètes. Elle ne peut que répéter ce que ceux-ci ont dit depuis longtemps. M. Wilh. Stross attire mon attention sur le passage du célèbre roman humoristique de Lawrence Sterne – Tristram Shandy (Vle partie, ch. V):

«Et je ne suis nullement étonné que Grégoire de Nazianze, en observant les gestes brusques et agités de Julien, ait prédit qu'il deviendrait un jour renégat; ou que saint Ambroise ait chassé son Amanuen, à cause des mouvements inconvenants qu'il faisait avec sa tête, qu'il remuait comme un fléau à droite et à gauche; ou que Démocrite, voyant Protagoras faire un fagot de broutilles et mettre les branches les plus minces à l'intérieur du fagot, ait conclu que Protagoras était un savant. Il existe mille orifices invisibles, continue mon père, à travers lesquels un œil pénétrant peut voir d'un seul coup ce qui se passe dans une âme; et j'affirme ajouta-t-il, qu'un homme sensé ne mettra pas son chapeau sur la tête en entrant dans une pièce et ne se découvrira pas en sortant, ou, s'il fait l'un au l'autre, il laisse échapper quelque chose qui le trahit.»
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