9. Actes symptomatiques et accidentels (1)

[1] [2] [3]

Je puis encore citer un cas de ma pratique psychothérapique où une main jouant avec une boule de mie de pain m'a fait des révélations intéressantes. Mon patient était un jeune garçon à peine âgé de 13 ans, atteint depuis deux ans d'une hystérie grave et qui, après un long séjour infructueux dans un établissement hydrothérapique, m'avait été confié en vue d'un traitement psychanalytique. Il avait dû, à mon avis, se livrer à certaines expériences sexuelles et il était tourmenté, étant donné son âge, par des questions d'ordre sexuel. Je me suis cependant abstenu de lui venir en aide en lui apportant des explications, car je voulais une fois de plus éprouver la solidité de mes hypothèses. Je devais donc chercher la voie à suivre pour obtenir cette vérification. Or, un jour, je fus frappé par le fait suivant – il roulait quelque chose entre les doigts de sa main droite, plongeait la main dans sa poche où ses doigts continuaient à jouer, la retirait de nouveau, et ainsi de suite. Je lui demandai ce qu'il avait dans la main, pour toute réponse, il desserra ses doigts. C'était de la mie de pain, roulée en boule. À la séance suivante, il apporta un autre morceau de mie et, pendant que je conversais avec lui, il fit de cette mie, avec une rapidité extraordinaire et les yeux fermés, toutes sortes de figures qui m'ont vivement intéressé. C'étaient de petits bonshommes, semblables aux idoles préhistoriques les plus primitives, ayant une tête, deux bras, deux jambes et, entre les jambes, un appendice qui se terminait par une longue pointe. Cette figure n'était pas plus tôt achevée que mon malade roulait de nouveau sa mie de pain en boule. À d'autres moments, il laissait son œuvre intacte, mais multipliait les appendices, afin de dissimuler le sens de celui qu'il avait formé entre les jambes. Je voulais lui montrer que je l'avais compris, sans toutefois lui donner le prétexte d'affirmer qu'il n'avait pensé à rien en modelant ses bonshommes. Dans cette intention, je lui demandai brusquement s'il se rappelait l'histoire de ce roi romain qui, dans son jardin, avait répondu par une pantomime à l'envoyé de son fils. Le garçon prétendit qu'il ne se la rappelait pas, bien qu'il l'eût apprise beaucoup plus récemment que moi. Il me demanda si je faisais allusion à l'histoire où la réponse avait été écrite sur le crâne rasé d'un esclave. «Non, répondis-je, cette dernière anecdote se rattache à l'histoire grecque.» Et je lui racontai ce dont il s'agissait: le roi Tarquin le Superbe avait ordonné à son fils de s'introduire dans une cité latine ennemie; le fils, qui avait réussi à se créer des intelligences dans la ville, envoya au roi un messager chargé de lui demander ce qu'il devait faire ensuite; le roi ne donna aucune réponse, mais s'étant rendu dans son jardin, se fit répéter la question et abattit sans mot dire les plus grandes et les plus belles têtes de pavots. Il ne resta au messager qu'à aller raconter à Sextus ce qu'il avait vu; Sextus comprit et veilla à supprimer par l'assassinat les citoyens les plus notables de la ville.

Pendant que je parlais, le garçon avait cessé de pétrir sa mie, et lorsque je fus arrivé au passage racontant ce que le roi fit dans son jardin, et notamment aux mots: «abattit sans mot dire», mon malade abattit, à son tour, la tête de son bonhomme avec la rapidité d'un éclair. Il m'avait donc compris et remarqué que je le comprenais moi aussi. Je pus commencer à l'interroger directement et lui donnai les renseignements qui l'intéressaient et au bout de peu de temps il fut guéri de sa névrose.

Les actes symptomatiques, dont on trouve une variété inépuisable aussi bien chez l'homme sain que chez l'homme malade, méritent notre intérêt pour plus d'une raison. Ils fournissent au médecin des indications précieuses qui lui permettent de s'orienter au milieu de circonstances nouvelles ou encore peu connues; elles révèlent à l'observateur profane tout ce qu'il désire savoir, et quelquefois même plus qu'il ne désire. Celui qui sait utiliser ces indications doit à l'occasion procéder comme le faisait le roi Salomon qui, d'après la légende, comprenait le langage des animaux. Un jour, je fus prié de venir examiner un jeune homme qui se trouvait chez sa mère. La première chose qui me frappa lorsqu'il vint au-devant de moi, ce fut une grande tache blanche sur son pantalon, tache qui, à en juger pas ses bords caractéristiques, devait provenir d'un blanc d'œuf. Après un bref moment d'embarras, le jeune homme s'excusa, en disant qu'étant un peu enroué, il avait gobé un oeuf cru dont un peu de blanc avait coulé sur son pantalon et, pour confirmer ses dires, il me montra une assiette sur laquelle il y avait encore de la coquille d'œuf. La provenance de la tache suspecte semblait donc expliquée de la manière la plus naturelle. Mais lorsque la mère nous eut laissés en tête-à-tête, je le remerciai de m'avoir ainsi facilité le diagnostic et pus sans difficulté obtenir de lui l'aveu qu'il se livrait à la masturbation. – Une autre fois, j'eus à examiner une dame aussi riche que vaniteuse et sotte et qui avait l'habitude de répondre aux questions du médecin par une avalanche de plaintes incohérentes, qui rendaient le diagnostic particulièrement difficile. En entrant, je la trouvai assise devant un petit guéridon en train de ranger en tas des florins d'argent, et en se levant, elle fit tomber quelques pièces sur le parquet. Je l'aidai à les ramasser et ne tardai pas à interrompre la description de sa misère en lui demandant: «Votre distingué gendre vous a-t-il donc fait perdre tant d'argent que cela?» Elle me répondit par un non! irrité, pour me raconter l'instant d'après l'état d'exaspération dans lequel la mettait la prodigalité de son gendre, Je dois ajouter que je ne l'ai plus jamais revue – c'est qu'on ne se fait pas toujours des amis parmi ceux à qui l'on révèle la signification de leurs actes symptomatiques.

Le Dr J. E. G. van Emden (de La Haye) relate un autre cas d'aveu «par acte symptomatique»: «Lors de l'addition, le garçon d'un petit restaurant de Berlin prétendit que le prix d'un certain plat avait été augmenté de 10 pfennigs. Comme je lui demandais pourquoi cette augmentation ne figurait pas sur la carte, il répondit qu'il s'agissait évidemment d'une omission, mais qu'il était sûr de ce qu'il avançait. En mettant l'argent dans sa poche, il fit tomber sur la table, juste devant moi, une pièce de dix pfennigs. – «Je sais maintenant que vous m'avez trop compté. Voulez-vous que je me renseigne à la caisse?» – «Pardon, permettez… un instant…» et il disparut.

Il va sans dire que je ne me suis pas opposé à sa retraite, et lorsqu'il revint deux minutes plus tard, en s'excusant d'avoir, par une erreur inconcevable, confondu le plat en question avec un autre, je lui ai remis les dix pfennigs en récompense de sa contribution à la psychopathologie de la vie quotidienne.»

C'est en observant les gens pendant qu'ils sont à table qu'on a l'occasion de surprendre les actes symptomatiques les plus bcaux et les plus instructifs.

Voici ce que raconte le Dr Hanns Sachs:

«J'ai eu l'occasion d'assister au souper d'un couple un peu âgé auquel je suis apparenté. La femme a une maladie d'estomac et observe un régime rigoureux. Lorsqu'on apporta le rôti, le mari pria la femme, qui ne devait pas toucher à ce plat, de lui donner la moutarde. La femme ouvre le buffet, en retire un petit flacon contenant les gouttes dont elle fait usage et le dépose devant le mari. Entre le pot de moutarde en forme de tonneau et le petit flacon à gouttes, il n'y avait évidemment aucune ressemblance susceptible d'expliquer la confusion; et cependant la femme ne s'aperçut de son erreur que lorsque le mari eut en riant attiré son attention sur ce qu'elle avait fait.

Inutile d'insister sur la signification de cet acte symptomatique. Elle saute aux yeux.»

Je dois au docteur B. Dattner (de Vienne) la communication d'un précieux cas de ce genre, qui a été très habilement utilisé par l'observateur:

«Je suis en train de déjeuner au restaurant avec mon collègue de philosophie, le Dr H. Il me raconte ce qu'il y a de pénible dans la situation d'un stagiaire et ajoute à ce propos qu'avant la fin de ses études il était entré à titre de secrétaire chez le ministre plénipotentiaire du Chili. «Puis le ministre a été remplacé, et je ne me suis pas présenté au nouveau.» Et pendant qu'il prononce cette dernière phrase, il porte à la bouche un morceau de gâteau, mais le laisse tomber du couteau, comme par maladresse. Je saisis aussitôt le sens caché de cet acte symptomatique et je glisse, comme en passant, à mon collègue, peu familiarisé avec la psychanalyse: «Vous avez laissé tomber là un bon morceau.» Il ne s'aperçoit pas que mes paroles peuvent se rapporter tout aussi bien à son acte symptomatique, et il répète avec une vivacité surprenante les mots que je viens de prononcer: «Oui, c'était en effet un bon morceau, celui que j'ai laissé tomber.» Et il se soulage en me racontant, sans omettre un détail, sa maladresse qui l'a privé d'une place bien payée.

«La signification de son acte symptomatique apparaît lorsqu'on songe que mon collègue devait éprouver une certaine gêne à me parler, à moi qu'il connaissait très peu, de sa situation matérielle précaire: mais l'idée qu'il voulait refouler a déterminé un acte symptomatique qui a exprimé symboliquement ce qui devait rester caché et a fourni ainsi à mon interlocuteur un moyen de soulagement qui avait sa source dans l'inconscient.»

Les exemples suivants montrent quelle signification peut avoir le fait d'emporter involontairement un objet appartenant à une autre personne.

1) Dr B. Dattner: «Un de mes collègues fait une visite à une de ses amies d'enfance, la première visite après le mariage de celle-ci. Il me parle de ce petit événement, m'exprime à ce propos son étonnement d'avoir été obligé, contrairement à son intention, de prolonger un peu cette visite, et il me fait part en même temps d'un singulier acte manqué qu'il a commis dans cette maison.

Le mari de l'amie, qui avait, lui aussi, pris part à la conversation, se mit, à un moment donné, à chercher une boîte d'allumettes qui (mon collègue s'en souvient fort bien) se trouvait sur la table, lorsqu'il était entré dans la pièce. On cherche partout, mon collègue fouille dans ses poches, se disant qu'après tout, il a bien pu par mégarde se l'approprier, mais en vain. Ce n'est que longtemps après qu'il la retrouva réellement dans une poche, et à cette occasion il fut frappé par le fait que la boîte ne renfermait qu'une seule allumette.

Deux jours plus tard, le collègue fit un rêve dans lequel la boite figurait à titre de symbole et son amie d'enfance à titre de personnage principal, ce qui ne fit que confirmer l'explication que je lui avais donnée, à savoir qu'il avait voulu par son acte manqué (appropriation involontaire de la boîte) affirmer son droit de priorité et de possession exclusive (il n'y avait qu'une seule allumette dans la boîte).»

2) Dr Hanns Sachs: «Notre bonne a un faible pour un certain gâteau. C'est là un fait incontestable, car c'est le seul plat qu'elle ne rate jamais. Un dimanche, elle apporte ce gâteau, le dépose sur la crédence, enlève les assiettes du plat précédent et les range sur le plateau sur lequel elle a apporté le gâteau; mais, au lieu de nous servir celui-ci, elle le place sur le tas d'assiettes et emporte le tout à la cuisine. Nous avions cru tout d'abord qu'elle avait quelque chose à arranger au gâteau, mais, ne la voyant pas revenir, ma femme se décide à la rappeler et lui demande: «Betty, qu'avez-vous donc fait du gâteau?» Il fallut lui rappeler qu'elle l'avait emporté; elle l'avait donc chargé sur le plateau, emporté à la cuisine, déposé quelque part sur une table ou ailleurs, «sans remarquer ce qu'elle faisait».

«Le lendemain, lorsque nous voulûmes manger ce qui restait du gâteau, ma femme constata que la bonne n'avait pas touché au morceau qui lui avait été réservé. Questionnée sur les raisons de son abstention, elle répondit, légèrement embarrassée, qu'elle n'avait pas envie d'en manger.

«L'attitude infantile de la jeune fille est visible dans toute cette affaire: d'abord, l'avidité infantile qui ne veut partager avec personne l'objet de ses désirs; ensuite, la réaction non moins infantile par le dépit: puisque je ne puis avoir le gâteau pour moi toute seule, je préfère n'en rien avoir; gardez-le pour vous.»

Les actes accidentels ou symptomatiques se rattachant à la vie conjugale ont souvent la plus grande signification et peuvent inspirer la croyance aux signes prémonitoires à ceux qui ne sont pas familiarisés avec la psychologie de l'inconscient. Ce n'est pas un bon début, lorsqu'une jeune femme perd son alliance au cours du voyage de noces; il est vrai que le plus souvent l'alliance, qui a été mise par distraction dans un endroit où on n'a pas l'habitude de la mettre, finit par être retrouvée. – Je connais une femme divorcée qui, longtemps avant le divorce, se trompait souvent, en signant de son nom de jeune fille les documents concernant l'administration de ses biens. – Un jour, me trouvant en visite chez un couple récemment marié, j'ai entendu la jeune femme me raconter en riant qu'étant allée, au retour du voyage de noces, voir sa sœur, celle-ci lui proposa de l'accompagner dans les magasins pour faire des achats, pendant que le mari irait à ses affaires. Une fois dans la rue, elle aperçut, sur le trottoir opposé, un monsieur dont la présence dans cette rue sembla l'étonner, et elle dit à sa soeur: «Regarde, on dirait que c'est M. L.» Elle avait oublié que ce M. L. était depuis plusieurs semaines son époux. Je me suis senti mal à l'aise en écoutant ce récit, mais m'abstins d'en tirer une conclusion. Je ne me suis souvenu de cette petite histoire qu'au bout de plusieurs années, lorsque ce mariage eut pris une tournure des plus malheureuses.

Aux travaux très intéressants de A. Maeder, publiés en français [85], j'emprunte l'observation suivante, qui d'ailleurs pourrait tout aussi bien figurer dans le chapitre sur les Oublis:

«Une dame nous racontait récemment qu'elle avait oublié d'essayer sa robe de mariage et s'en souvint la veille du mariage à huit heures du soir, alors que la couturière désespérait de voir sa cliente. Ce détail suffit à montrer que la fiancée ne se sentait pas très heureuse de porter une robe d'épousée, qu'elle cherchait à oublier cette idée pénible. Elle est aujourd'hui… divorcée.»
[1] [2] [3]



Добавить комментарий

  • Обязательные поля обозначены *.

If you have trouble reading the code, click on the code itself to generate a new random code.